Prolongez la campagne l'exemple c'est nous

Ce site est une archive de la campagne de Yapaka "L'exemple, c'est nous".

La campagne est terminée mais le matériel reste à disposition si vous le souhaitez.

Les autres se posent toujours sur la chaise où je voulais m’asseoir, ils ne me laissent pas passer la porte avant eux, ils prennent la pastilla au poulet que je me réservais, ils se garent à la place que j’avais choisie.

Et même si je n’ai pas de voiture, c’est égal, cette place, elle était à moi.

Les filles dans la rue détournent le regard quand je les fixe dans les yeux, les gars le soutiennent et montrent les dents, les vieux baissent les yeux et accélèrent le pas. Les gens me parlent de trop près, ça me dérange, les filles me parlent de trop loin, ça me démange, où simplement elles me parlent quand moi je voudrais qu’elles m’écoutent. Parce que le mâle, on dira ce qu’on voudra, c’est moi.

Les jeunes d’aujourd’hui, c’est connu, ils ne respectent plus rien.

Il y a des jeunes qui se rassemblent tous les soirs devant ma maison, ils laissent leurs cannettes et leur mégots sur le perron et moi, tous les matins, je vois mon père qui les ramasse en soupirant, tandis qu’en face, son voisin récolte mes cadavres de bouteilles en jurant. Il y a des gars d’autres quartiers qui viennent ici faire crisser les pneus de leurs vieilles Mercedes, comme pour marquer leur territoire, mais ici, c’est chez moi et c’est mon vélo qui est roi. On n’a jamais vu une Mercedes faire un wheeling avant sur 37 mètres. Quand j’aurai une voiture, j’irai crisser chez eux, pour voir si ça les amuse qu’on réveille leurs petits frères et qu’on effraie leurs vieux.

A deux maisons de la mienne, il y a des nouveaux habitants, des Roumains je crois où quelque chose comme ça, enfin des gens de l’Est. Tous les soirs, c’est bal chez eux. Ils vivent au sous-sol. On peut voir les jeunes et les vieux qui dansent et qui trinquent par une demi-fenêtre. Quand ils sont saouls, le volume augmente et il n’y a plus moyen d’écouter autre chose. Moi, je ne l’aime pas, leur musique de Tziganes. J’aime le hip hop, de préférence dans une belle Mercedes qui roule à toute allure et où les baffles saturent un peu. En attendant, je l’écoute sur mon téléphone, ma musique. La qualité n’est pas terrible, ça crachote un peu et dans le tram, je vois bien qu’il y en a qui voudraient jeter mon téléphone par la fenêtre. Et moi avec, sans doute. Mais ils n’osent pas. D’ailleurs ils n’osent même pas me regarder, alors me parler, vous imaginez.

C’est fou, cette histoire de ne pas oser me regarder. Pourtant je ne suis pas bien costaud: mon truc, c’est la danse et le slam, pas la boxe. Mais quand tu parles plus fort que les autres, que tu mélanges le français avec les quelques mots d’arabe que tes parents ont réussi à te faire entrer dans le crâne, tu peux être sûr qu’ils n’ouvrent pas la bouche, même s’ils ont l’âge de ton père. Alors je monte le volume, pour voir jusqu’où je peux aller. Puis je le coupe parce que le son est vraiment trop pourri.

Moi, quand je veux du respect, je vais dans un magasin de téléphones et je demande au vendeur de m’expliquer toutes les caractéristiques des téléphones du présentoir. Je choisis les prix moyens, pour ne pas qu’il croie que je suis un petit joueur. Je tâte mon portefeuille dans ma poche, l’air de rien. Je joue le connaisseur,  le type à qui on ne la fait pas. Le vendeur, il s’énerve un peu, il essaie de savoir si je vais finir par acheter ou pas, et puis finalement il soupire quand je m’en vais en disant que je vais attendre les nouvelles sorties, parce que là, vraiment, il n’y a rien de valable. Il faut souvent changer de magasin, sinon le type te reconnaît et il ne marche pas la fois d’après.

Le respect, ça ne se gagne pas, ça s’achète.

Pas pour tout le monde, bien sûr : mes petits frères, ils me respectent naturellement. C’est moi qui leur apprend tout : les filles, la musique,  le vélo. Ma sœur, elle ne me respecte pas toujours. Mais je lui pardonne, parce que c’est dans sa nature : c’est une impertinente de naissance. Avec tout le monde, pas seulement avec moi. En fait on est pareils, elle et moi. 

A l’école, c’est difficile, parce que pour te faire respecter de tes potes, il faut être mauvais en classe et pour que les profs te respectent, c’est juste l’inverse. Il y a comme un nœud, là.

C’est quoi le respect, pour moi ?

Le vrai respect, je crois que c’est un gars qui m’engueule en disant que je vaux mieux que ça. « Ca », c’est moi au moment où je me fais engueuler, par exemple parce que je suis en train de draguer Leila et que je me plante complètement dans la chorégraphie. Et puis Leila se marre, elle se fout de moi et je déteste ça, mais après elle me fait un sourire gentil et je me dis qu’elle se moque avec respect. Moi je me l’enroulerais bien avec respect, mais quand je le lui dis comme ça, elle devient carrément agressive. Elle dit que je devrais apprendre les manières et qu’une femme, il faut la séduire et lui faire la cour. Elle dit que c’est une question de respect. Je n’ai pas l’impression que Cyril, il lui a fait la cour longtemps avant de l’embrasser respectueusement dans les vestiaires, mais bon, il doit y avoir des catégories différentes d’hommes : ceux qui doivent faire longtemps la cour et ceux qui reçoivent une dispense et qui vont directement dans les vestiaires.

N’empêche, si je les y reprends, je vais aller présenter mes respects et ma dénonciation à son frère, à Leila. Au revoir le Cyril, tapis rouge pour Driss.

Le respect, c’est aussi quand on te parle, qu’on réalise que tu es autre chose qu’un lampadaire. Quand on te demande le chemin. Moi, jamais personne ne me demande le chemin en rue. Peut-être qu’ils croient que je ne suis pas d’ici ? Ca ne fait que 3 générations et je n’ai pas encore déteint, même s’il fait moche à en pleurer dans ce pays. Le respect, c’est quand pour parler de moi, on ne dit pas « un jeune marocain ». J’ai 15 ans déjà, ma carte d’identité, elle est belge, le Maroc, je n’y vais qu’une fois par an, pendant les vacances, et l’arabe, je le parle mal et je ne le lis pas. Et n’essayez pas de dire « un jeune issu de l’immigration marocaine », parce que ça me tape encore plus sur le système. Je ne suis issu de rien du tout, juste de ma mère et de mon père qui étaient Belges avant moi, avec cachet et certificat.  

Le respect, c’est quand on arrête de me chercher.

Après, peut-être que j’arrêterai de chercher les autres.

Mais c’est d’abord eux.  

---

Une fiction de Christophe Beaujean pour www.lexemplecestnous.org
Voir son blog  : http://www.monsieurglon.be/

Fichier attachéTaille
Respect1_Christophe_Beaujean.pdf15.77 Ko