Ce site est une archive de la campagne de Yapaka "L'exemple, c'est nous".
La campagne est terminée mais le matériel reste à disposition si vous le souhaitez.
Par où commencer ? Je m’appelle Christine Schaut. Professionnellement je pourrais me définir comme sociologue, à la fois professeure et chercheure. J’aimerais brièvement vous parler de cette double expérience et de la place qu’y prennent l’empathie, l’écoute et l’échange curieux et respectueux avec ceux qui ne sont pas moi et de qui j’ai beaucoup à apprendre.
Comme chercheuse d’abord, parce que c’est par là que j’ai débuté, je suis ce que l’on appelle une chercheuse de terrain. J’ai toujours conçu mes recherches comme étant un moyen non pas de vérifier des hypothèses pensées derrière mon bureau mais d’entendre ce que les gens qui vivent dans un tel ou tel endroit et qui sont confrontés à telle ou telle situation ont à me dire de leur expérience voire d’aller sur le terrain pour tenter moi-même de les ressentir. Cela m’a conduit dans les rues labyrinthiques de la casbah d’Alger, au cœur d’espaces urbains inconnus ou, de plus en plus souvent ces dernières années, dans les quartiers populaires et urbains, à la chaussée d’Anvers, aux Potiers à Anneessens, à Rempart des Moines, au quartier Versailles à Neder-Over-Hembeek ou encore à la cité tendrement appelée Chicago à Saint-Vaast. Le contact physique avec un terrain et avec les personnes qui le peuplent implique forcément, me semble-t-il, une proximité relationnelle. On ne peut pas mener une enquête sociologique non seulement sans rencontrer les premiers concernés mais aussi sans être touché par eux, lié éthiquement voire politiquement à eux.
Une relation d’enquête est une relation sociale, certes particulière mais une relation sociale quand même qui s’approfondit avec le temps que vous passez sur le terrain. Elle implique en premier lieu l’établissement de la confiance entre celui qui vient pour apprendre du terrain et ceux qui y vivent ou le traversent (je préfère cette expression longuette aux deux termes un peu policiers «enquêteur/enquêtés », certes plus courts mais tellement chargés de violence symbolique et conduisant implicitement à faire de ceux qui accueillent le chercheur sur son terrain, des êtres uniquement réactifs). La confiance, donc, elle se tisse avec le temps, au creux des rencontres. Elle fait place aux réticences, aux résistances dont font preuve parfois à votre égard les sujets locaux, à raison parce qu’ils ne vous connaissent pas et qu’ils se méfient autant des sociologues que des journalistes et des assistants sociaux. Elle fait place encore aux épreuves, aux rites de passage qu’ils organisent à votre intention pour voir ce que vous avez dans la tête et parfois dans le ventre. La confiance, elle se niche dans les conversations, dans les tristesses et les joies quotidiennes dont vous devenez, au fil du temps, le témoin voire un des protagonistes (un de mes plus beaux souvenirs de terrain est d’avoir été associée, comme chercheure à un voyage à Blankenberge un 15 août avec un groupe de mamans accompagné par Claire, une animatrice. Je sais ça paraît tout petit comme souvenir, mais il a véritablement fini de m’attacher). Dans le chef du chercheur la confiance de l’autre requiert de l’empathie, du respect de toutes les paroles mais sûrement pas de l’hypocrisie. J’ai ainsi toujours fait le pari de me positionner par rapport au fait, en marquant parfois mon désaccord quand j’estime que c’est important (sur des propos extrémistes par exemple).
La relation d’enquête implique aussi l’établissement d’un véritable échange lequel se base sur le système du don/contre-don. Que puis-je apporter en échange du temps qu’ils passent avec moi et de la confiance qu’ils m’accordent ? Question bien délicate, bien inconfortable mais qu’il me paraît indispensable de se poser si l’on veut établir un échange le moins inégalitaire possible. Au-delà de l’établissement d’une relation interpersonnelle qui peut s’avérer riche qu’apporte-t-on dans notre panier ? La promesse de revenir quand on a besoin de vous, d’aller porter des nouvelles d’eux en d’autres lieux, d’aller les y faire reconnaître, de devenir, là où on est et avec la modestie des moyens, des porte-parole. C’est d’autant plus impérieux quand on travaille avec des personnes, des groupes qui sont bien souvent exclus de l’espace public, qui y sont plus parlés que parlants. Ce travail de déplacement est le seul, me semble-t-il, qui excuse le chercheur qui, à un moment, se détache du terrain pour aller en occuper un autre. C’est le seul qui puisse atténuer le sentiment de trahison lié au départ qui peut être ressenti à la fois par ceux qui restent et par celui ou celle qui part.
Comme professeure, la situation n’est pas tout à fait la même mais j’y retrouve aussi les mêmes ingrédients : faire confiance, donner la parole et l’occasion, montrer les accords mais aussi les désaccords, et dire pourquoi, rire avec aussi, parfois de soi, accepter ses erreurs et ses ignorances. Ces deux derniers points sont sans aucun doute les plus délicats : dur-dur d’admettre cela et encore plus de le reconnaître devant les étudiants, on préférerait avoir toujours raison parce qu’on préférerait tout connaître. On croit à tort que de reconnaître ses limites c’est s’exposer aux rires narquois, aux rumeurs qui risquent de circuler, c’est voir s’ébranler tout l’édifice déjà peu assuré de notre image. Je n’en suis pas persuadée. Ca fait du bien un prof qui reconnaît qu’il ne sait pas ou qui apprend quelque chose de ses étudiants et qui le dit, j’espère sans démagogie ou alors elle est inconsciente- c’est peut-être plus grave notez-. Et ça libère le prof d’une posture omnisciente impossible à tenir.
Dans les deux expériences, la posture du sociologue est peu assurée, voire fragile : accepter que les objets de recherche deviennent des partenaires et que le savoir acquis coure le risque de l’ébranlement c’est sûrement s’exposer. Mais cette posture est aussi gage de découvertes, de rencontres et d’apprentissage. Est-elle transmissible ? Je le crois, en tout cas je le crois assez pour l’enseigner à mes étudiants et pour l’éprouver d’année en année sur mes terrains de recherche.
Un texte de Christine Schaut, sociologue pour www.lexemplecestnous.org
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