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Interview de Marcel Gauchet, paru dans La Croix le 16 septembre 2009 [1]
L’obéissance que les enfants doivent aux adultes repose sur le besoin qu’ils ont d’être protégés et sur la conviction qu’on agit pour leur bien.
La Croix – Pourquoi, selon vous, le mot « obéissance » a-t-il été banni du vocabulaire des éducateurs ?
Marcel Gauchet - Ce mot a été réduit à la dimension de dressage, devenue le repoussoir absolu dans l’éducation d’aujourd’hui, qui fait appel à la compréhension et exclut tout mouvement d’imposition autoritaire, supposée être incompatible avec cette compréhension.
Bien sûr que l’éducation humaine n’est pas le dressage animal. Bien sûr qu’il y a eu des abus d’autoritarisme stupide. Mais une fois qu’on a dit cela, on n’a vu qu’un aspect du problème, par un tout petit bout de la lorgnette. Un peu de réflexion éloigne de l’obéissance, mais beaucoup de réflexion y ramène !
Il faut en effet rappeler ce principe essentiel : nous vivons dans des sociétés démocratiques, où l’obéissance joue un rôle fondamental. « L’obéissance à la loi qu'on s'est prescrite est liberté », écrivait Rousseau dans Le Contrat social. L’un des principes fondamentaux de la démocratie est que chacun accepte d'obéir aux lois qu'on s'est collectivement fixées.
Qu'est-ce qui justifie cette obéissance spécifique que les enfants devraient aux adultes ?
Nous sommes dans un moment de folie idéologique, où l'on pourrait compléter le premier article des droits de l'homme : « les hommes naissent libres, égaux... et adultes »! Or, les hommes ne naissent pas adultes, mais enfants. Ce qui les met dans une situation de dépendance, de tutelle. Les enfants ont objectivement besoin d'être protégés pour mener une existence satisfaisante, grandir, se développer. Ils ont besoin que les adultes se placent du point de vue de leur bien. C'est ce besoin de protection qui fonde l'autorité des adultes sur eux et donne à l'obéissance des enfants un sens.
L’âme de cette relation particulière adultes-enfants, c'est la confiance. Et il faut dire que dans la majorité des cas, les enfants font confiance aux adultes. Parfois même de manière déraisonnable - et il faut les en protéger, là aussi. Ce n'est donc pas simple. Mais c'est ce principe qui doit nous guider, comme dans la vie sociale en général. La confiance est l'élément positif, le moteur de l'éducation. Avant même de comprendre pourquoi on lui demande de faire ou de ne pas faire telle ou telle chose, en faisant confiance à l'adulte, l'enfant se pénètre de l'idée que l'adulte fait quelque chose qui a un sens pour lui. Et dans la grande majorité des cas, les enfants se soumettent volontiers, car ils sentent très bien, très profondément, que leurs parents les aiment et les protègent.
Le fait d'agir au nom du bien de l'enfant a entraîné pourtant des dérives.
A partir du moment où il y a un pouvoir des adultes sur les enfants, il y a effectivement risque d'abus. Y compris dans la démagogie dont on fait preuve à leur égard en les laissant faire ce qu'ils veulent. L’éducation est un art, fait d'équilibres subtils, où il faut combiner – comme dans la vie sociale - des choses apparemment contradictoires : les libertés et la soumission, non pas à un arbitraire personnel, mais à des règles dont on pense qu'elles ont une valeur supérieure.
Faut-il aussi apprendre aux enfants à désobéir à certains ordres injustes ?
A partir du moment où on comprend qu'il y a de bonnes raisons d'obéir, on comprend qu'il y a parfois de très bonnes raisons de désobéir. Il y a des ordres auxquels il faut savoir s'opposer. Mais pour savoir désobéir à des ordres inacceptables, il faut avoir compris qu'il y a des ordres acceptables, justifiés, auxquels il y a du sens d'obéir. C'est l'un des grands apprentissages de l'existence.
Autrement dit, les enfants qui n'ont pas appris à obéir ne sauront pas non plus désobéir à des ordres injustes ?
C'est souvent le cas aujourd'hui ! Ils désobéissent volontiers à ce que leur demandent leurs parents et se soumettent aux injonctions pas toujours sensées de leur bande, ou à certains commandements stupides qui leur sont déversés par la publicité, les médias, et auxquels il serait très utile de leur apprendre à désobéir !
Recueilli par Christine Legrand
[1] extrait du blog de Marcel Gauchet
Marcel Gauchet est philosophe, directeur d'études à l’école des hautes études en sciences sociales et responsable de la rédaction de la revue "Le Débat" (Gallimard). Il est l'auteur de nombreux livres et articles,dont "L'avènement de la démocratie" (Gallimard, 2007), "L'impossible entrée dans la vie" (Collection Temps d'arrêt 2008).