Prolongez la campagne l'exemple c'est nous

Ce site est une archive de la campagne de Yapaka "L'exemple, c'est nous".

La campagne est terminée mais le matériel reste à disposition si vous le souhaitez.

Avec la sortie de mon film Elève libre, j’ai constaté lors de nombreuses rencontres avec le public combien il est difficile pour chacun d’entre nous de définir ce qui constitue l’abus ou la transgression. J’ai découvert combien le public est dépourvu quand il doit déceler et formuler ce qui constitue la transgression. Ce constat m’a rendu vigilant et il m’est donc difficile de garder le silence quand j’entends le ministre de la Culture en France prendre la défense de Roman Polanski. Il m’est difficile de rester silencieux quand j’entends qu’un ministre d’Etat se range du côté d’un cinéaste qui n’a pas respecté la loi, ou s’est dérobé à l’action de la justice. Depuis ce jour, j’ai peur. J’ai peur que nous offrions aux extrémistes et autres fondamentalistes, motif à censurer la liberté d’expression, motif à juger les artistes plutôt que les hommes. J’ai donc peur pour tous les artistes qui souhaiteraient dorénavant se confronter à des sujets complexes. J’ai peur que l’on fasse l’amalgame entre fiction et réalité, j’ai peur que le public imagine que les artistes sont des êtres protégés, à part, au-dessus des lois.

Les fantasmes les plus transgressifs, les déviances les plus sordides peuvent être sujets de fiction et de création. L’art peut nous faire voir la bête immonde qui sommeille en nous. Les auteurs peuvent nous faire voir la complexité et la fragilité de l’existence, mais jamais l’art ne doit nous permettre d’oublier la loi des hommes. Défendre Polanski, puis avouer dans une confession-spectacle qu’on a juste eu tort d’avoir des rapports sexuels tarifés à Bangkok, c’est tout de même banaliser le commerce des corps. La confession d’un ministre ou d’un artiste ne doit jamais légitimer des passages à l’acte pervers, la confession ne peut jamais permettre de banaliser la transgression de la loi.

Restons vigilants, n’oublions jamais que le respect et la protection des mineurs, la non-marchandisation de la sexualité sont des lois universelles qu’il faut défendre, et qui ne peuvent être implicitement remises en question par des hommes publics. Il y a pour le politique et l’artiste une responsabilité d’exemplarité à assumer. Loin de moi de penser que la nature humaine est pure, mais nous avons, nous auteurs, au nom de l’art et de son indispensable fonction sociale, l’obligation de respecter et faire respecter ces lois universelles qui fondent notre société. L’artiste mérite la justice des hommes et l’art mérite la critique des hommes. Sans cette distinction, le retour de flamme sera terrible, car c’est l’art que l’on va juger, alors que ce sont les hommes qui méritent la justice. En voulant se dérober à l’Etat de droit, l’artiste n’est pas dans la sublimation ou la catharsis, il est juste hors la loi.

Alors voilà, l’actualité fait apparaître une réalité : nombre d’entre nous sont aujourd’hui incapables d’expliquer pourquoi majeurs et mineurs n’ont pas à partager la sexualité et pourquoi on ne peut pas acheter un corps. Ce silence est trop bruyant. Il nous faut réfléchir au sens de ces lois universelles qui fondent notre société, pour mieux les intégrer et les respecter. Cette démarche, c’est collectivement que nous devons l’entreprendre.


Joachim Lafosse,  Cinéaste - Publication originale dans Le Soir (14 octobre 2009)