Prolongez la campagne l'exemple c'est nous

Ce site est une archive de la campagne de Yapaka "L'exemple, c'est nous".

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Juan Goytisolo, écrivain espagnol au regard acéré sur la civilisation occidentale, refuse le Prix international de littérature libyenne. Il explique pourquoi dans le journal Le Monde.

Sans métissage, un peuple devient vite aussi stérile qu'un caillou...

En cette journée d'ouverture des Assises de l'interculturalité, on lira avec intérêt le texte de Juan Goytisolo Cinq siècles après, l'Espagne paie encore pour avoir renié son héritage arabe et juif

 

Un prix libyen éthiquement inacceptable

par Juan Goytisolo, Ecrivain (Le Monde du 17 septembre 2009)

Au mois de juillet, on m'a appris que je venais de recevoir le Prix international de littérature libyenne d'un montant de 150 000 euros. L'interlocuteur qui m'a annoncé la nouvelle n'était autre que l'hispanisant Egyptien Salâh Fadhl, l'une des figures les plus respectées du milieu intellectuel de son pays et dont les convictions démocratiques ne laissaient aucun doute.

En réponse à ma question sur la composition du jury qui m'avait décerné cette distinction, j'ai appris avec satisfaction que le romancier libyen résidant en Suisse, Ibrahim Al-Kouni en faisait partie. Je voue une admiration profonde à l'auteur de Poussière d'or (Al-Tibr). C'est l'un des meilleurs romans arabes contemporains. Les autres membres du Conseil de consultation sont connus pour leur intégrité et leur crédit.

Les raisons mises en avant pour me proposer à ce prix étaient fondées et valables et je les ai accueillies avec gratitude. Je me considère en effet comme l'un des rares romanciers européens à m'intéresser à la culture arabe et musulmane et j'ai défendu, dans la mesure de mes possibilités, tant la cause palestinienne dans le strict respect du droit international et des résolutions votées par le Conseil de sécurité de l'ONU, que le combat des peuples arabes pour la liberté et la démocratie dont ils sont cruellement privés. Ma modeste connaissance de l'arabe dialectal marocain m'a offert une perspective inestimable pour appréhender notre identité singulière, complexe et mouvante.

Mais il y a un mais... La dotation du prix provient des fonds de la Grande Jamahiriya arabe libyenne populaire et socialiste, fondée en 1969 après le coup d'Etat militaire du colonel Mouammar Kadhafi. Après un cours débat intérieur entre l'acceptation de ce prix ou son refus pour des raisons à la fois éthiques et politiques, j'ai dû opter pour la seconde résolution.

" Le déséquilibre brutal qui existe entre l'Europe et les pays arabes ne s'explique pas uniquement par la religion ; des facteurs sociaux, politiques et culturels, que nous devons examiner attentivement, entrent en jeu. Nous n'endossons pas la responsabilité de toutes les erreurs. Les vôtres sont tout aussi graves que les nôtres, ai-je écrit au Dr Fadhl. La corruption des élites dirigeantes, les dictatures qui s'éternisent au pouvoir et les farces électorales à répétition dans la quasi-totalité des Etats membres de la Ligue arabe, loin de constituer un rempart contre l'expansion de l'islamisme, ne font que la renforcer pour en faire la seule alternative crédible. La démocratie, synonyme de contrats juteux passés entre les pays occidentaux et les pétromonarchies du Golfe, les émirs et les magnats qui étalent avec indécence leur luxe et leur opulence à Casablanca, au Caire, à Beyrouth et à Marbella, a perdu de sa force d'attractivité d'antan pour les masses pauvres et analphabètes et pour les jeunes happés, sans la moindre possibilité d'y échapper, par la spirale de l'immigration. "

J'écrivis à Salâh Fadhl : " Le spectacle lamentable de vacuité et d'impuissance offert lors de l'invasion barbare de la bande de Gaza m'avait personnellement indigné comme toute personne décente. La difficulté d'accéder au statut de citoyen constitue la cause principale de la frustration des Arabes et leur recours à une version extrémiste du credo religieux. Pour conclure : la cohérence avec moi-même a pesé plus lourd que toutes les autres considérations d'affection et de reconnaissance que je porte à des personnes d'une si grande intégrité morale que la vôtre ainsi qu'à celle des autres membres du Conseil de consultation. "

J'ai rédigé ce courrier d'une traite et me suis senti immédiatement après, comme libéré d'un poids écrasant. Jamais je n'ai couru derrière les prix, et si je les ai acceptés, c'était par courtoisie envers ceux qui m'avaient honoré. Mais dans le cas présent cela aurait été totalement impossible.