Prolongez la campagne l'exemple c'est nous

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(Publication originale La Libre - 25/09/2009)

A l'institut Notre Dame d'Espérance de Couillet, ils sont impliqués via le projet "Trait d'union". Pour apprendre à travailler avec leurs enfants.
Reportage

Au fond de la salle de gym, qui fait aussi office de réfectoire et de salle des fêtes, deux vieux "plints" au cuir élimé semblent échappés d’une autre époque. Les tapis bleus sur lesquels les élèves apprennent à faire des cumulets, des roues et des trapèzes n’ont pas meilleure mine. L’Institut Notre Dame d’Espérance de Couillet, petite école fondamentale - 112 élèves répartis dans deux classes de maternelle et quatre de primaire -, ne roule visiblement pas sur l’or.

Sur la porte de la grille de la cour de récré, une affichette rappelle qu’à 16 heures se tient la première réunion de parents, "ouverte à tous", de l’année scolaire. L’école accueille une population de quartier socialement (très) défavorisée. A l’heure dite, le réfectoire se remplit d’adultes et d’enfants, dans un joyeux brouhaha. On calme les gamins avec force biscuits et bananes ; les bébés avec des biberons.

Le directeur, Benoît Bamps, empoigne le micro pour dominer le chahut. Il présente l’équipe pédagogique, qui s’est agrandie cette année. "Madame Julie n°2" viendra épauler les titulaires des deux classes qui réunissent deux années de primaire (3e-4e et 5e-6e), pour soulager les groupes qui seront ainsi partagés la moitié de la semaine.

Et madame Cathy, "qui ne vient que le soir dans le cadre de l’école de devoirs". Baptisée "Trait d’union", cette école de devoirs un peu particulière, où parents et enfants "travaillent" ensemble, est un des grands projets de la rentrée de l’Institut Notre Dame d’Espérance. Il a d’ailleurs été sélectionné comme lauréat 2009 de l’ "Ecole de l’Espoir", une initiative pour améliorer l’intégration de la jeunesse défavorisée de la Fondation Reine Paola.

"On est parti du constat qu’il y a plus de devoirs non faits que faits, explique M. Bamps. Certains parents avouent ne pas savoir s’y prendre avec leur enfant ou n’être pas capables de les aider." Souvent, ces adultes ont eu eux-mêmes une mauvaise expérience sur les bancs de l’école, avec un décrochage dès le niveau primaire.

Pas facile d’aider son enfant à réviser ses conjugaisons quand on n’a pas soi-même réussi sa troisième primaire. Résultat : 30 à 50 % des élèves, qui en ont pourtant les capacités intellectuelles, ne font pas, ou pas complètement, leur travail à domicile. En janvier dernier, après des bulletins de Noël assez catastrophiques, l’école a tenté de savoir pourquoi les devoirs restaient trop souvent en pointillés. Réponses des parents : "On n’a pas eu le temps", "On a oublié", "C’est le boulot de l’école : je ne vérifie pas" ou "Je ne sais pas l’aider". Ce fut l’électrochoc.

Une première expérience d’école de devoirs, "traditionnelle", a été mise sur pied. Sans succès. Il a fallu arrêter : les parents se déchargeaient encore plus sur l’école. Avec ce genre de remarque : "On paie, donc pas question qu’il fasse encore quoi que ce soit à la maison !"

"Ce n’était pas cet objectif-là que nous poursuivions : on voulait plutôt voir les parents se réinvestir dans l’école", poursuit le directeur. D’où l’idée de "Trait d’union", une école de devoirs intégrant les parents, qui a doucement fait son chemin.

Elle fonctionne depuis début septembre. Trois jours par semaine (lundi, mardi, jeudi), les parents inscrits sont en immersion complète, de 15h35 à 17h, dans l’école de devoirs. Le premier quart d’heure, tous prennent un petit goûter apporté à tour de rôle par les parents. "On va acheter un percolateur", promet le directeur. Suit un temps de "travail obligatoire accompagné". Une seconde période de travail est prévue pour les enfants qui n’ont pas terminé. Pour les autres, c’est un moment de jeux, de lecture, de bricolage avec implication active des parents.

Quatre familles ont déjà mordu à l’idée et viennent après 16 heures chez madame Cathy. "Il faut d’abord installer la confiance et s’ajuster aux situations", explique l’institutrice qui est aussi psychologue de formation. "Parce qu’au départ, ils ont une méfiance vis-à-vis de l’école en général. Le premier jour, un papa faisait un exercice de conjugaison, en pataugeant complètement, à la place de son fils qui se bornait à le recopier dans son cahier avec plein de fautes. La première chose que j’ai essayé de lui faire comprendre, c’est que son enfant doit apprendre à travailler seul", explique madame Cathy. Le recours à Bescherelle, ce sera pour plus tard

Une autre maman a osé demander de l’aide en faisant aveu d’impuissance ; elle ne connaissait pas les règles grammaticales. "Ce sont des choses qui s’oublient. C’est loin, parfois il suffit d’un petit rappel", lui a gentiment soufflé l’enseignante.

On sent que le directeur, debout devant les parents rassemblés pour la réunion, choisit ses mots avec soin pour expliquer le projet de "Trait d’union". "Ce qu’on veut, c’est aider l’enfant à se construire pour réussir ses humanités. Il doit devenir autonome par rapport aux devoirs à domicile. Une partie du travail doit se faire à la maison. L’enfant a parfois une difficulté à l’école que les parents ne sont pas à même de résoudre : vous n’êtes pas des pédagogues, sinon il n’y aurait pas d’enseignants."

Beaucoup d’enfants de cette école en discrimination positive (mais "belge" à 100 %) rencontrent de gros problèmes de vocabulaire, ce qui les pénalise dans l’apprentissage de la lecture. Il leur manque aussi souvent un modèle familial qui permettrait une construction correcte du langage. Le milieu familial (chômage, invalidité, pauvreté sociale ) est peu stimulant et les gamins ne bénéficient pas suffisamment de moments d’échange et de communication.

Avec tact, le directeur glisse quelques phrases à cet égard, en évitant de heurter ou de cabrer les parents. "Les enfants ont besoin de contacts privilégiés avec les parents. C’est important de les écouter quand ils rentrent de l’école, de raconter des histoires, de faire des jeux de société. Avec les Game-boy, les Nintendo, etc., tout un contact se perd et cela empêche l’enfant de grandir." Dans la salle, certains opinent ; d’autres écoutent sans broncher.

Annick Hovine