Ce site est une archive de la campagne de Yapaka "L'exemple, c'est nous".
La campagne est terminée mais le matériel reste à disposition si vous le souhaitez.
« On a les ados que l'on mérite ! » ou responsabilités du monde adulte. [1]
Je suis éducateur et vis le quotidien avec des adolescents « dits en difficultés ». Personnellement, je dirais « en souffrance » tandis que les adultes qui les accompagnent sont, eux, souvent « en difficultés ».
Depuis de nombreuses années, d'énormes moyens (financiers et humains) ont été mis en place pour accueillir, soigner, accompagner ces jeunes en souffrance, et malgré cela, la situation semble s'aggraver.
De ce fait, de nombreuses questions ont pris de plus en plus de place dans ma pratique quotidienne:
La bonne santé d'une société se mesure plutôt à la façon dont elle considère ses jeunes, et non à la façon dont on les « soigne ».
Le jeune, depuis la petite enfance, est littéralement envahi de messages venant du monde adulte qui ne vont pas faciliter une construction d'identité équilibrée.
Messages contradictoires, paradoxaux.
Tous les psys vous le diront, envoyer fréquemment des messages contradictoires à une personne est un très bon moyen pour la rendre folle. Le quotidien fourmille de ces messages et l'ado y est particulièrement sensible:
Messages négatifs, dévalorisants, exagérés
Là aussi, la liste serait longue : c'est le « tu es nul », « tu n'arriveras à rien », du professeur. « Tu finiras chômeur ». Les généralisations : « la jeunesse est sans respect, violente, inculte... ».
Les discours récurrents, quasi apocalyptiques sur l'avenir de notre société, n'aident pas l'adolescent à se projeter dans l'avenir.
Actuellement, la pression scolaire est telle, quelquefois, que les services de psychiatrie pour adolescents parlent de « harcèlement scolaire ».
Tous ces messages négatifs font plus souvent appel à la peur, au sentiment de dévalorisation qu'à l'intelligence de l'adolescent.
Ces messages, souvent exagérés, ont également un objectif : attiser un sentiment d'insécurité par un « discours péril jeune » pour mieux vendre son expertise. Présenter un tableau catastrophique peut permettre de proposer ensuite des solutions.
Des dérives peuvent exister également du côté des médias, et des universitaires pour lesquels « l'adolescence difficile peut devenir un bon marché ».
Messages aliénants, incitatifs, de la société de surconsommation par la publicité.
L'adolescent est devenu la première cible marchande incontestable.
L'invasion publicitaire a un impact psychologique déstructurant beaucoup plus important qu'on veut bien nous laisser croire (au regard des intérêts financiers en jeu, ceci n'est pas étonnant).
Les spécialistes de « l anti-pub » les ont très bien repérés et analysés :( diminution de la raison-critique, soumission à des normes, bonheur égal plaisir immédiat, appel à la déraison, marchandisation des valeurs de la vie (affection, amitié, liberté...), tout besoin est un droit, etc....
Cette publicité pour une société d'abondance ne tuerait-elle pas le désir en le remplaçant par de simples besoins continuellement assouvis et renouvelés???
Conséquences : difficile d'être dans la réalité
Tous ces messages (contradictoires, négatifs, exagérés, aliénants...) sont envoyés massivement vers nos jeunes. L'adolescence, de par les transformations importantes qu'elle provoque (physiologiques et psychologiques) est par définition, une période prédisposée aux impressions et sentiments d'anormalité, d'étrangeté, de confusion. Et si l'environnement social surenchérit dans la confusion et l'incohérence, l'inscription de nos jeunes dans la réalité risque d'être bien difficile. Si ces messages de plus en plus fréquents, intenses et nombreux rencontrent d'autres fragilités, ils deviennent alors déclencheurs de troubles plus importants.
[1] Un texte de Guy Pean, éducateur pour www.lexemplecestnous.org
Commentaires
Merci pour cet article qui a le mérite de pointer du doigt les paradoxes de notre société, qui se révèlent très concrètement dans l'éducation.
Les professeurs devraient se poser des questions sur le rôle qu'on leur fait jouer notamment vis à vis de la discipline scolaire. Le système repose entièrement sur eux et on n'est pas un bon professeur si on ne "tient" pas sa classe.
Moi, j'avais appris à l'unif que l'autorité était obtenue par la reconnaissance de vos compétences de professeurs et non par une autorité de pouvoir-harcèlement comme on essaie de nous le faire jouer.
Si le professeur résiste à ce système, il y a des mécanismes pour le rejeter du système.
Je crois que les doubles injonctions sont aussi vécues par les professeurs quand il n'y a pas de cohérence entre ce qu'ils ont appris et ce qu'ils vivent à l'école, entre la direction que leur montre leur inspecteur et la direction que leur montre leur direction...
Peut-être est-ce une piste pour comprendre le malaise enseignant aussi.
On vit dans un monde où les repères s'effritent et on en perd la boule...